La gratuité de la dialyse a amélioré la prise en charge médicale des malades souffrant d’insuffisance rénale. Tous reconnaissent que l’Etat a permis de sauver des patients et d’épargner les ménages de charges onéreuses. Mais aujourd’hui, les insuffisants rénaux sont sous le poids d’un autre fardeau, celui de la cherté des médicaments et des analyses.
La salle de l’Unité de dialyse péritonéale du Service de néphrologie de l’hôpital Aristide Le Dantec n’est pas déserte ce 13 mars 2019. Les patients et leurs accompagnants sont dans un silence pesant. Les visages ne sont pas détendus. Seuls les bruits des médecins et des infirmiers sont perceptibles. Ici, les confessions des malades suscitent la compassion. « Je suis sous dialyse depuis 2016. Les analyses les moins chères me reviennent parfois à 25.000 FCfa le mois. Je ne parle pas du prix du transport », confie Ndèye Anta qui vient de Rufisque. Elle dépense moins que Fatoumata Sidibé, assise sur une chaise roulante et enveloppée dans une couverture. Elle parle à peine. Cette originaire de Kédougou a changé de lieu de résidence. Elle est désormais à Tambacounda où elle peut avoir accès à la dialyse. Mais, de temps en temps, elle est obligée de venir à Dakar pour les analyses et récupérer les produits pour la dialyse péritonéale.
Rupture des liens conjugaux
« Je ne peux que vous donner une idée de ce que nous dépensons. Lorsque nous sommes à Dakar, nous payons 25.000 FCfa pour la location d’une chambre pour 15 jours. Nous sommes tenus d’y passer ce temps pour faire des analyses et des échographies. Il nous faut au moins 125 000 FCfa », raconte Thierno Sidibé, l’accompagnant de Fatoumata.
Le coût élevé du traitement entraîne souvent la rupture des liens conjugaux, comme le rapporte la majore de l’Unité de la dialyse péritonéale de l’hôpital Aristide Le Dantec. Mais, ce n’est pas toujours le cas, car certains enfants sont prêts à rester aux côtés de leurs parents quoi qu’il advienne. La figure la plus illustrative est Maguette Diagne. Pour rien au monde elle ne laissera sa maman se débattre seule dans des difficultés. Hier, elle était là pour un autre rendez-vous qui ne sera pas le dernier. Depuis des années, la prise en charge médicale de leur maman pèse sur leurs revenus. « Les analyses et les examens coûtent cher. Nous dépensons beaucoup. Si nous pouvions avoir les produits dans des pharmacies de nos localités, cela réduirait les dépenses », préconise Maguette.
Les patients reconnaissent qu’ils ne sont plus sous la psychose, comme c’était le cas avant la gratuité de la dialyse. Aujourd’hui, les ménages dépensent moins. « Il faut reconnaître que l’Etat a beaucoup fait. Mais, les malades ont besoin d’être soulagés davantage. Nous avons vu des patients qui devaient faire 4 séances dans le mois, mais à la longue, ils finissent par en faire deux à cause du manque de moyens », témoigne l’infirmière-majore Fatou Guèye.
Le poids des analyses et des bilans médicaux sont des facteurs de désunion. Le coût de traitement remet en cause la célèbre phrase « se marier pour le meilleur et le pire ». « Les femmes sont abandonnées par leurs époux qui ne prennent pas leurs responsabilités. Le coût du traitement est à l’origine de plusieurs divorces », confie Mme Guèye.
Subventionner les médicaments
De l’autre côté de la salle d’hémodialyse, Souleymane Seck est allongé sur un lit. Sa séance de dialyse durera 4 heures. Au milieu des autres malades, il rappelle qu’il a été diagnostiqué en 2009 avant d’être mis sous dialyse en 2013. « J’ai fait deux ans dans les structures privées avant d’être admis à l’hôpital Aristide Le Dantec où la dialyse est gratuite », informe M. Seck.
Dans cette salle, les flots de douloureux souvenirs peuvent faire craquer les faibles. Les confessions de Souleymane clouent l’interlocuteur. « Pour supporter les analyses, les médicaments, le transport et l’alimentation, j’ai vendu trois terrains à Ouakam, Dalifort et Touba. J’ai même commencé à vendre les bijoux de mon épouse. Heureusement que je suis admis au centre d’hémodialyse du Chu Aristide Le Dantec où la dialyse est gratuite. Mais, c’est très difficile », se désole-t-il.
Les patients dépensent, en moyenne, 150.000 FCfa tous les 3 mois pour les dialyses et les examens médicaux. « La majorité des malades n’a pas de moyens. Je pense que l’Etat, en plus de la dialyse, doit rendre gratuites les analyses et subventionner certains médicaments », plaide M. Seck.
Comme lui, Ramatoulaye Bâ (nom d’emprunt) qui vit à Rufisque se rend régulièrement à l’hôpital Aristide Le Dantec. « Je suis ici les lundi, mercredi et vendredi pour des séances de dialyse. Depuis 2009, ma vie se limite entre la maison et cette structure de santé », informe-t-elle. Ramatoulaye a contracté la pathologie rénale suite à un accouchement difficile en 2006. « Lors de ma deuxième grossesse, je souffrais d’hypertension sévère. C’est à cause de cela d’ailleurs que j’ai perdu mon enfant, puisque c’était un mort-né. C’est difficile. Mais, c’est mon destin », se résigne à dire la dame. Elle résume le coût du traitement en citant le tarif du Néorecormon dont les six ampoules sont vendues à 230.000 FCfa.
Les praticiens recommandent aussi la décentralisation des unités de dialyse péritonéale. « Les jeunes malades, les étudiants et les personnes qui travaillent préfèrent être sous dialyse péritonéale. Il faut décentraliser les unités dans les régions afin de soulager les patients qui ont des occupations », recommande l’infirmière-majore Fatou Guèye.